Dans cette édition, nous traitons d’un sujet toujours sensible : la réalité de la consommation au travail, en contexte de poste à risque pour la sécurité. Tous les secteurs sont touchés. On peut maintenant établir certains modèles de consommation, qui pourraient guider les gestionnaires dans leur intervention (politique, dépistage, campagne de sensibilisation). De nouvelles réalités viennent bouleverser ces modèles. Et le problème ne peut que prendre de l’ampleur. Heureusement, il existe des moyens d’intervention.
RIP le p’tit joint de pot
Le pot d’antan n’est plus. De nos jours, l’indice en thc (la substance active du cannabis) de la marijuana est 40 fois plus élevé que dans les années 70 et le « Québec Gold » compte parmi les meilleures variétés au monde, eu égard à son taux de thc. Afin d’en illustrer l’ampleur, il faut savoir qu’en 2011, la ville d’Amsterdam, en Hollande, le paradis de la « Cannabis Culture » reconnu pour sa tolérance, a fait passer le cannabis titrant à plus de 18% en thc de la catégorie des drogues douces aux drogues dures, au même titre que la morphine ou l’héroïne. À cela s’ajoute le cannabis de synthèse, composé de substances florales qu’on vaporise d’un cannabinoïde de synthèse reproduisant les effets de la marijuana.
Il est vendu tant sur Internet que dans certaines boutiques ayant pignon sur rue ET il est indétectable.
Internet
Internet a révolutionné l’accessibilité aux drogues. On peut maintenant « commander du stock » sur le Net. Se pose ici le problème de la provenance ou de la composition des substances, inconnues du consommateur, et qui peuvent causer des intoxications graves ou même mortelles.
On trouve également, sur Internet, ce qui est en voie de devenir un fléau, au Canada et au Québec : les nouvelles drogues de synthèse comme le GHB, qui font leur entrée en milieu de travail. Le GHB liquide, consommé à petites doses pour ses effets similaires à l’alcool, est incolore et inodore.
Ces nouvelles réalités ne seront pas sans poser de grands défis pour nos méthodes traditionnelles d’intervention.
En attendant le « potomètre » : point sur le dépistage
Rien de nouveau côté dépistage. Au Québec, le statu quo demeure. Malgré de nouveaux outils de dépistage, la même difficulté demeure : contrairement à l’éthylomètre, les outils de dépistage utilisés « on site » ne permettent pas de déterminer si l’employé était sous l’influence au moment de donner un échantillon de fluide corporel. Même en cas de résultat positif on site, l’échantillon, pour être valide en cour, doit être envoyé à un laboratoire pour confirmation.
Entre temps, si l’employé n’est pas retiré de son poste de travail, il n’y a pas de lien rationnel entre la mesure et le but visé par la mesure, qui est d’assurer la sécurité. C’est donc sans surprise que la jurisprudence arbitrale, au Québec, est composée majoritairement de cas de « flagrant délit », où aucun test n’est requis et où la démonstration de la preuve est relativement aisée, pour l’employeur. Ces données passent cependant sous silence la consommation réelle, qui n’a pas fait l’objet d’interventions ou qui n’a pas été portée à la connaissance de l’employeur.
La situation est appelée à changer avec l’utilisation de plus en plus répandue des outils de dépistage de drogue par échantillon d’haleine. Moins invasif qu’un test d’urine, ce type de test comporte l’avantage supplémentaire de détecter la présence de résidus de drogue laissés par la fumée dans l’haleine et qui demeurent moins longtemps dans l’organisme. Si tant est que la substance consommée soit fumée, comme par exemple la marijuana, un résultat positif dans l’haleine pourrait indiquer une consommation récente, contrairement au test d’urine qui détecte une consommation pouvant aller jusqu’à des semaines, voire des mois, avant la prise de l’échantillon. Ces nouvelles technologies sont très prometteuses pour les milieux de travail à risque pour la sécurité.
L’affaire Metron Construction
Que retenir de la tragédie de Metron Construction, où quatre travailleurs, dont un contremaître, sont décédés le 24 décembre 2009 à la suite de la rupture d’un échafaudage conçu pour 2 travailleurs avec leur équipement et 2 lignes de vie, situé au 14ième d’un édifice? Cinq choses :
- Il s’agit de la 1ière entreprise canadienne à être condamnée en vertu des dispositions du Code criminel canadien sur la responsabilités des personnes et des organisations (Loi C-21) où la drogue était en cause.
- L’entreprise et son propriétaire ont été condamnés, en 1ière instance, à une amende de 200 000$. Le procureur de la Couronne a porté la cause en appel au motif que l’amende ne reflétait pas la gravité objective des manquements du contremaître. Au nombre des facteurs aggravants : le contremaître avait consommé avec les trois travailleurs décédés. L’entreprise a été condamnée à une amende de 750 000$ en 2ième instance. Soulignons qu’un des 2 travailleurs survivants, gravement handicapé, poursuit l’entreprise au civil pour 16 millions $.
- Si le contremaître n’était pas lui-même décédé, il aurait été poursuivi pour négligence criminelle ayant causé la mort pour avoir laissé les travailleurs sous sa supervision exécuter leurs tâches alors qu’il avait la connaissance qu’ils étaient sous l’influence de la marijuana.
- La chaîne de responsabilité criminelle s’est ensuite transférée au gestionnaire de projet, qui a été condamné, en juin 2015, sous 4 chefs d’accusation pour négligence criminelle ayant causé la mort et 1 chef de négligence criminelle ayant causé des blessures. Selon la preuve de la Couronne, il était lui-même sur la structure et a « miraculeusement » survécu en se jetant sur un des balcons. Le gestionnaire devait toucher un bonus s’il complétait les travaux fin décembre et aurait délibérément ignoré les règles de sécurité pour atteindre cet objectif, la journée du 24 décembre 2009.
- L’affaire Metron Construction illustre de manière on ne peut plus claire le principal danger de la consommation de drogue, en milieu de travail : l’ignorance du risque, causé par un faux sentiment de confiance et une sensation de toute puissance! Il s’agit ici d’un des effets des psychotropes, au même titre que le ralentissement des réflexes, du temps de réaction et de la prise de décision. On peut supposer que seule l’ignorance du risque a pu pousser 4 travailleurs à monter dans la structure, en surnombre et sans être attachés.
Et la supervision?
Elle constitue souvent le maillon faible, sur les quarts sensibles : soir, nuit, fin de semaine, où il y a peu ou pas de supervision. On constate aussi, dans certains milieux, une réticence à agir, notamment dans les petites communautés et les régions éloignées. Si certains contremaîtres sont animés de bonne intention (peur de nuire au travailleur, proximité familiale). D’autres se font souvent les complices inconscients, en fermant délibérément les yeux sur des signes évidents de consommation. Pourquoi?
Aucune action concertée pour contrer la consommation au travail ne peut être efficace sans l’implication du personnel de supervision. Il est peu probable qu’on puisse agir sur les travailleurs-consommateurs si le contremaître tolère la consommation, quel qu’en soit la raison. Cependant, cela ne devrait pas freiner l’employeur dans ses mesures d’intervention, qui devrait inclure un plan de sensibilisation du personnel de supervision aux risques pour la sécurité, et à leur rôle et responsabilités dans la prévention de la consommation de drogue, au travail. Il s’agit d’une responsabilité commune.
L’absence de données sur la consommation au travail : Pourquoi un tel silence?
Depuis 10 ans que nous intervenons dans les milieux de travail pour des problèmes de consommation ou de trafic, nous remarquons que peu de données sont disponibles et les quelques études existantes sur le sujet sont dépassées. Pourtant, notre expérience permet de dire qu’il s’agit d’un problème réel, appelé à s’aggraver avec les nouvelles substances et le profil de consommation des jeunes générations de travailleurs. Il ne faudrait pas attendre une répétition de la tragédie de Metron Construction pour commencer à s’attarder au phénomène de la consommation de drogue et d’alcool, au travail, qui semble être la grande oubliée dans l’approche globale des entreprises en matière de santé et de sécurité. Des données fiables permettraient sûrement d’y voir plus clair, pour mieux prévenir.
Des questions qui préoccupent
- Profil des travailleurs-consommateurs
- Que consomment-ils?
- Cycle d’altération du comportement lié au mélange de substances
- Quand il n’y a pas de supervision: contraintes spécifiques au quart de nuit
- Si le contremaître consomme…
- Une preuve solide = un dossier blindé
Pour toute question concernant cet article ou pour de l’information sur nos formations, veuillez contacter madame Nathalie Durand : [email protected].